DISCOURS D'OUVERTURE DU COMITE TECHNIQUE PARITAIRE MINISTERIEL (CTPM) par Jean-Luc MELENCHON Ministre délégué de l'Enseignement professionnel

Paris, le 13 avril 2000

 

Mesdames, Messieurs les représentants des personnels,

 

Mesdames, Messieurs les représentants de l'administration.

 

 

 

J'ai résolu de me présenter devant vous ce matin pour marquer, dès le début de ma prise de fonction, mon attachement aux institutions de notre démocratie sociale. Fort malheureusement, le calendrier de mes obligations et, en particulier, la tenue tout à l'heure d'un séminaire du Gouvernement, ne me permettront pas de demeurer plus longtemps parmi vous que le temps de cette intervention. Je forme le vœu cependant qu'elle vous permette d'être pleinement informés des orientations qui m'inspirent pour ce qui concerne la présentation de ce nouveau texte de décret organisant le statut des professeurs de lycée professionnel. Toutefois, avant d'entrer dans le texte lui-même, je crois répondre à certaines des demandes qui m'ont été présentées au cours des entretiens que j'ai eus avec les organisations syndicales représentatives en éclairant quelques questions liées au contexte dans lequel cette réunion se tient.

 

Le contexte

Nous nous réunissons à la suite d'un mouvement social d'une importance remarquée. Son origine est sans doute dans la superposition de nombreux problèmes qui, pour nombre d'entre eux, ont déjà une longue histoire. Mais la modification du statut de 1992 en a très certainement été le déclencheur Ce mouvement social a été écouté et entendu. Quatre décisions politiques en témoignent.

La première est la création du Ministère qui m'a été confiée par le Premier Ministre Lionel Jospin. La seconde est la présentation aujourd'hui d'un nouveau texte de décret se substituant à celui qui avait été présenté lors du précédent CTPM, le 6 mars dernier. La troisième est la mise à disposition d'importants moyens nouveaux pour mettre en œuvre le dispositif résultant de ce nouveau texte. La quatrième est l'ouverture de nouveaux chantiers correspondant aux demandes clairement exprimées par la représentation syndicale.

 

 

I - LE NOUVEAU MINISTERE

 

La création d'un nouveau ministère est toujours un acte politique fort. Celui-ci l'est d'autant plus qu'elle intervient dans le contexte d'un mouvement social qui a affirmé la forte personnalité et la grande attente d'un secteur d’action éducative dont l'importance est ainsi soulignée.

 

Le Ministère de l'Enseignement professionnel, nouvellement créé, par le Premier Ministre Lionel Jospin, applique son impulsion à l'ensemble du monde éducatif concerné par la grande filière de l'enseignement des métiers. C'est elle qu'il faut à présent rendre clairement discernable aux yeux de nos concitoyens. Ce ministère respecte de la spécificité des modes de transmission des savoirs que matérialisent filières et établissements du secondaire et du supérieur, statuts et qualifications des personnels. Ce ministère, comme la filière qu'il concerne, est pleinement intégré au système global de l'éducation nationale et c'est à juste titre qu'il est significativement nommé Ministère délégué auprès du Ministère de l'Éducation nationale. Son objectif est de réunir, autour d'une même source d'impulsion politique, d'action et de responsabilité, l'ensemble des enseignements professionnels de notre système éducatif. Dans leur domaine, ces enseignements sont clairement définis par leur triple mission

- éduquer le jeune

- le former

- lui donner une aptitude à des savoir-faire opérationnels validés, directement négociables sur le marché du travail.

 

Le nouveau projet de décret

Le projet de décret qui vous est soumis ce matin est le fruit du mouvement social, du dialogue et des négociations qui ont eu lieu. Pour une bonne part, ces échanges ont eu lieu avant même ma nomination. Je les ai repris et prolongés, en toute communauté de vue et de travail avec le Ministre de l'éducation nationale Jack Lang qui s'est personnellement impliqué dans l'évolution de la situation. Je crois important de rappeler, ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire aux représentants de vos organisations et devant l'Assemblée nationale, que ce nouveau texte se substitue certes à celui présenté au CTPM du 6 mars dernier, mais bien plus encore au décret de 1992. Il marque d'une part une avancée sociale par une réduction significative du temps de travail d'une catégorie de professeurs de lycée professionnel et, d'autre part, une volonté de progrès pédagogiques. Ces deux progrès peuvent, depuis nos discussions, être réalisés sans annualisation, ni globalisation, ni flexibilité, ni pondération. Chacun de ces mots, vous le savez aussi bien que moi, a une signification extrêmement précise et répond aux principales revendications qui ont entouré le refus du précédent projet de décret. J'ajoute que le périmètre d'application de ce décret est clairement limité aux professeurs des lycées professionnels. Je précise donc clairement qu'aucune extension n'est prévue à aucun autre statut d'enseignant.

 

Les avancées sociales

1. Tous les PLP voient leur service passer de 23 heures à 18 heures. Toutefois pour les enseignants en SES - SEGPA, c'est-à-dire pour 3.000 professeurs de lycée professionnel (représentant de 5 % des effectifs), il est prévu une année de transition avant la pleine application effective de ce progrès social. Cette année de transition est destinée à éclaircir les conditions particulières dans lesquelles le décret s'appliquera en tenant compte des particularités de la situation actuelle signalées, par exemple, par ce fait que dans les SES-SEGPA travaillent aussi notamment 11 000 instituteurs. Dans les faits, deux logiques sont ici à concilier, celle du corps et celle de l'établissement. C'est donc un chantier spécifique à ouvrir dès à présent. Mais nous avons tenu néanmoins, Jack Lang et moi, à fixer le délai le plus court possible pour la transition. Le délai de transition initialement prévu a donc été réduit à l'issue de nos discussions. Le nouveau texte instaure donc pour la rentrée 2000 le passage aux 18 heures pour tous les professeurs de lycée professionnel en lycée professionnel et, à la rentrée 2001, pour l'ensemble du corps.

 

2. Une seconde avancée mérite d'être signalée à sa juste place. Dorénavant le temps consacré au suivi de l'élève durant sa période de formation en entreprise est clairement quantifiée.

Cela vise une activité importante des enseignants, qui n'entre pas précisément dans la définition du décret de 1950 puisqu'elle concerne un acte professionnel situé hors du champ de la présence en cours devant les élèves. Le suivi des périodes en entreprise étaient jusque là un travail invisible. Il est dorénavant pleinement intégré au décompte des heures de service effectif. Il l'est à raison de deux heures par élève et par semaine sans pondération. Il l'est dans un plafond de trois semaines. Je sais que cette quantification a pu poser problème. Je pense pour ma part que les inquiétudes soulevées prenaient leur sens dès lors que cette quantification était inscrite dans le cadre de la pondération et de l'annualisation. J'estime que la question se présente tout autrement dès lors qu'il n'y a plus ni annualisation, ni pondération. La quantification du travail invisible, c'est-à-dire la rémunération du travail effectif, est, ainsi que j'ai pu le vérifier personnellement tout au long du débat parlementaire sur la loi des 35 heures, une revendication essentielle des confédérations ouvrières que, pour ma part, je partage pleinement.

 

Une autre difficulté est apparue à l'occasion de nos dialogues sur ce point. Le plafond de trois semaines a semblé ne pas correspondre aux durées des périodes en entreprises effectivement constatées. Sans doute la circulaire d'application devra-t-elle clairement répondre aux interrogations soulevées à ce sujet. En toute hypothèse, selon moi, le cadre de cette quantification étant clairement posé par les deux heures prévues dans le nouveau texte de décret, il n'en demeure pas moins que le plafond s'applique par période en entreprise et non pour la durée globale des périodes accomplis par un élève.

 

Le troisième progrès concerne le crédit individuel de formation. Sur ce plan encore, je crains que l'ambiance particulière qui a entouré la présentation du précédent texte ait empêché de percevoir clairement la signification de ce qui est disposé à ce sujet. Je voudrais donc rappeler qu'il répond à la revendication constante et pressante de représentant du personnel et non des moindres. Je demande que l'on considère avec soin ce fait qu'il s'agit d'une nouvelle possibilité, qui s'ajoute à celle qu'offre le droit commun en la matière. Celui-ci n'est aucunement remis en cause ou contesté. J'ajoute ceci : dès lors qu'il est également clairement indiqué que les enseignants peuvent y accéder sur la base du volontariat, il me semble que l'intérêt bien compris de chacun, tel que chaque enseignant l'évaluera lui-même, sera en définitive le meilleur des régulateurs si des inquiétudes subsistaient.

 

Je me sens obligé à cet instant de remarquer également que ce dispositif qui, une fois de plus, je le rappelle ne se substitue pas mais s'ajoute au droit commun de la formation permanente, est également proposé par une confédération syndicale au niveau général des discussions dans la fonction publique. Il va de soi que ce droit nouveau donnera lieu, dans un délai permettant une appréciation significative, à une évaluation.

 

PROGRES PEDAGOGIQUE

À côté de ces éléments de progrès social, figure ce que l'on doit considérer comme un progrès pédagogique. Il s'agit du projet pluridisciplinaire à caractère professionnel. Pour l'essentiel, il s'agit de mettre en place le moyen pour l'élève de constater et vérifier personnellement la complémentarité des enseignements qu'il reçoit dans une séquence pédagogique où ceux-ci fusionneraient dans une même démarche sur un même objectif. Pour décrire plus simplement et de façon imagée, et sachant bien que comparaison n'est jamais raison, j'ai dit devant l'Assemblée nationale qu'il s'agissait de l'équivalent moderne de ce que le compagnonnage désigne comme le " chef- d'oeuvre ", étant bien entendu que c'est le parcours singulier de chaque élève qui donne lieu dans ce cadre à une évaluation. Il va de soit qu’une circulaire dont nous aurons discuté les traits essentiels devra préciser tout à la fois la démarche pédagogique et le mode opératoire. Sur le terrain, je recommanderai que, suivant la tradition particulière de l'enseignement professionnel, les critères de la faisabilité ne soient jamais oubliés. Par avance, je fais confiance à l'équipe pédagogique qui aura ces projets en charge, autour du chef d'établissement, pour qu'il en soit bien ainsi. Dans les semaines qui viennent, vous serez d'ailleurs destinataires d'une synthèse des évaluations opérées sur les cent-cinquante expérimentations qui se sont déjà déroulées cette année dans toutes les académies et dont on m'a dit qu'elles étaient positives et pour certaines même enthousiasmantes.

 

Vous aurez noté dans le nouveau texte de décret que si la flexibilité, liée à l'annualisation, a été éliminée, les conditions particulières de mise en œuvre des projets pluridisciplinaires à caractère professionnel permettent d’ouvrir la possibilité d’une modulation, portant sur trois heures maximum, que l'on pourra reporter d'une semaine sur l'autre et dans le cadre d'un rythme hebdomadaire d'exécution du service. Sur ce point nous ménageons la respiration naturelle du travail lui-même.

 

 

 

LES QUESTIONS NEES DU MOUVEMENT SOCIAL

 

Je ne penserai pas avoir pleinement introduit ce CTPM si je n'abordais pas les autres questions qui m'ont été fortement posées par naturellement les organisations syndicales. La première, concerne les moyens d'accompagnement. Chacun a conscience de ce que cette réduction de cinq heures de travail pour certaines catégories de personnel représente non seulement l'accomplissement d'une très ancienne revendication mais également un choc certain sur l'organisation du travail. Il ne faut pas chercher ailleurs le sens de quelques dispositions destinées à organiser la transition qui figurent dans le texte de décret comme par exemple celui concernant le complément d'horaire. Je mesure pleinement les défis qui vous sont lancés dès lors qu'il ne saurait être question de compléter par des nouveaux postes de travail le volume des heures nécessaire à l'accomplissement de vos missions dans la mesure où cela pourrait signifier des recrutements par d'autres procédés que les voies qualifiantes par lesquelles ils se font aujourd'hui. Si désagréable que cela puisse être, le respect des formations nécessaires à la qualification des enseignants et à la vérification des qualifications acquises nous conduisent à calculer aujourd'hui en heures supplémentaires, et en équivalents temps plein, les besoins du moment pour aborder la rentrée d'une manière convenable.

 

Au demeurant ni le gel, ni l'application différée sur deux ans de la grille horaire ne sont possibles à cette date de l'année compte tenu de ce que sont les contraintes techniques calendaires de l'organisation de la prochaine rentrée. C'est une réalité qui pèse sur la mise en oeuvre de nos décisions. Je précise enfin que l'abaissement du seuil de dédoublement de 24 à 22 heures fait apparaître, après expertise un coût de 23 600 heures supplémentaires. Il s'agit là, en toute hypothèse d'un volume difficilement absorbable dans l'état actuel des effectifs enseignants. Je mesure donc combien tous les aspects de cette question nous renvoient à la nécessité d'ouvrir rapidement le chantier de la résorption de la précarité des personnels. c'est en effet une des voies par lesquelles ces problèmes peuvent trouver une solution.

 

Quoi qu'il en soit, les moyens mis en oeuvre dès à présent par le Gouvernement sont considérables. 300 postes de conducteurs de travaux et 43 200 heures supplémentaires, soit 2 670 équivalents temps plein sont d'ores et déjà programmés. En année pleine, l'effort appliqué s'évalue à plus de 600 Millions de francs. Je ne crois pas solliciter les chiffres en affirmant qu'il s'agit d'un effort tout à fait exceptionnel, manifestant clairement la réalité de l'intérêt que le Gouvernement de Lionel Jospin porte à l'Enseignement professionnel.

 

D'ULTIMES PRECISIONS

Après cela plusieurs autres questions encore qui ne sont pas directement liées au décret mais qui constituent son environnement dans le cadre de ce qu'a exprimé le mouvement social récent méritent elles-aussi précision. De nombreuses interpellations ont concerné la Charte dite de " l'Enseignement professionnel intégré ". J'ai noté qu'elle recevait tout à la fois approbation et désapprobation. J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises que pour ma part je considérais ce document comme un document d'étape à l'intérieur de l'ample démarche que je souhaite initier avec Jack Lang pour définir ce qu'est la filière globale de l'Enseignement professionnel dans notre pays du secondaire au supérieur. D'ici quelque temps, je m'exprimerai plus complètement sur le sujet dès lors que le Ministre de l'Éducation nationale, Jack LANG, et moi-même nous aurons pu, après nos consultations avec l'ensemble des partenaires de l'Éducation nationale, procéder à l'organisation des chantiers que nous voulons ouvrir. C'est le moment de vous dire que j’ai bien entendu celles de vos préoccupations que vous avez fixées parmi vos priorités. Chacune doit donner lieu à une concertation dans l'objectif de régler les problèmes posés.

 

Pour ce qui concerne la vie enseignante, je sais que le problème de la précarité de certaines catégories d'enseignants, auxiliaires et contractuels, est primordial. Ce chantier sera donc ouvert le premier.

 

J'en prends ici l'engagement devant vous.

 

D'autres chantiers seront ouverts également dans les délais le plus court. J'en évoque ici quelques-uns sachant que la liste de ce que je vais évoquer n'est pas exhaustive.

 

 

PREMIEREMENT

 

1.La période de formation en entreprise doit donner lieu à une contractualisation dont les termes doivent être clairement définis. À cette discussion, cela va de soi, doivent être associés d'une façon ou d'une autre tous ceux qui ont à en connaître, c'est-à-dire aussi bien les enseignants, les confédérations de salariés, les parents d'élèves, les élèves et, bien sûr, les employeurs partie prenante de ce contrat.

 

DEUXIEMENT

Les questions concernant le rythme scolaire et les programmes sont directement liés à l'efficacité pédagogique des moyens mis en oeuvre. Je crois comprendre que les enseignants en ont exprimé toujours le souci le plus vif tout comme les parents et les élèves eux-mêmes. C'est pourquoi j'estime que les esprits sont mûrs pour ouvrir des discussions susceptibles de déboucher efficacement. Il va de soi que, d'un autre côté, se pose avec la même urgence le problème de l'évaluation des filières et des qualifications actuellement disponibles. Ce point me permet d'ouvrir une transition dans mon propos vers ma conclusion.

Mesdames et Messieurs, je suis intimement persuadé de l'efficacité hautement performante du service public dont nous sommes, les uns et les autres, chacun dans nos rôles respectifs, les garants. Notre pays est entré dans un cycle de croissance longue qui renverse les données matérielles et psychologiques de la période précédente. L'enseignement professionnel est donc en première ligne de la marche vers le retour au plein emploi. Dans de nombreuses branches de la production et dans de nombreux secteurs d'activités, les besoins de travail vont s'avérer considérables. D'ores et déjà, dans certaines industries, on doit constater une demande qui excède le nombre des personnels qualifiés disponibles. Nous pouvons donc regarder l'avenir en étant raisonnablement confiants. L'efficacité actuelle de notre service public d'enseignement professionnel peut légitimement donner lieu à discussion. Aucun d'entre nous n'a jamais prétendu s’y soustraire. L'école républicaine laïque se renforce au contact des exigences de la Nation. Au demeurant les résultats sont là qui montrent un niveau de performance atteint en dépit des innombrables difficultés que chacun d'entre vous connaît bien.

C'est pourquoi nous n'avons pas de raison de nous installer dans une inquiétude qui tétaniserait nos capacités d'effort au moment où le pays va y faire appel plus que jamais dans le passé récent grâce au retour pilote de la croissance.

 

Je ne prolonge pas d'avantage mon propos. Les semaines qui viennent me procureront les occasions de le préciser. D'ailleurs, le CTPM d'aujourd'hui n'a pas d'autre objet que le nouveau texte du décret. C'est bien sur ce texte et non sur le contexte que votre avis est sollicité. J'ai cru utile pourtant de préciser qu'en examinant l'un vous n'aurez pas à vous déjuger sur l'autre.

 

Je forme le voeu qu'après une tension rude, qui s'est aussi manifesté entre les personnels eux-mêmes, compte tenu des efforts accomplis, le nouveau texte puisse être vécu comme un compromis honnête qui nous permette de retrouver ensemble le chemin d'une ambition collective partagée.

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