Que cachent les
discours pédagogiques :
Réformes modernes ou régression contre-réformiste ?
Une des fortes demandes sociales, adressée par les lycéens
et leurs familles à lécole, est la réussite de linsertion professionnelle.
Or, une des conséquences des politiques libérales est la crise de lemploi
ainsi que lextension de la précarité. Dans ce contexte, les jeunes y
compris ceux qui ont réussi lécole ont de plus en plus de mal à sinsérer.
Lécole, en raison de ses soient disant "formalisme "
et "absence " de lien avec lentreprise, est considérée
alors comme responsable de cette situation. " Débarrassée de ses
archaïsmes et dotée de la bonne pédagogie ", lécole serait
capable de "dépasser cette crise ".
Le "modernisme " consisterait à "adapter lécole "
aux besoins des entreprises en qualifications. Lesquelles sont impossibles
à prévoir, même dans de proches délais de 5 ans.
Sous prétexte de mettre lélève au centre des apprentissages, de favoriser
son autonomie, de donner du sens aux activités scolaires, une offensive libérale,
sans précédent, sorganise. Tout y passe : les diplômes, les contenus,
la pédagogie, la socialisation...
Derrière les discours pédagogiques, des directives patronales et européennes
Des nouveaux programmes, mis en place en 1991, à leur organisation
en "compétences et capacités à... " dans les référentiels,
en passant par la pédagogie différentielle et celle du projet, les directives
patronales et européennes en ont constitué le socle.
Les quelques extraits suivants parlent deux-mêmes :
" Ma préconisation est de rendre à lindividu
la responsabilité de son parcours... Le rôle de la collectivité nest
plus de faire et de normaliser mais de rendre possible le maintien de la compétence
individuelle, de laisser à lindividu la capacité de la développer. Ainsi
la logique de précarité ne fait plus peur puisque, bien que lindividu
connaisse une période de non-emploi, comme il reste compétent, il peut se
réorienter et trouver un emploi. "
" Une autre responsabilité revient à lensemble du système
éducatif : accepter une fois pour toutes de distinguer dans le diplôme
lévaluation des compétences et le cursus. Il faut en finir avec cette
pseudo-approche collective qui veut que tout le monde ait le même nombre dheures
de maths, de physique, de français... définir des capacités en termes de "être
capable de " et permettre à tout individu davoir le parcours
quil veut, inductif, déductif, avec ou sans maths. "
" Aucune formation générale ne peut se dispenser
de préparer une compétence professionnelle "
" Trois fonctions de léducation : développement
de lautonomie des personnes ; maintien de leurs possibilités de
sinsérer socialement ; augmentation de leurs capacités professionnelles. "
" Dans la société cognitive, lindividu doit pouvoir faire
valider des compétences fondamentales techniques ou professionnelles, indépendamment
du fait quil passe ou non par une formation diplomate, ...Cela peut
concerner aussi des savoirs fondamentaux dont la décomposition en niveaux
est aisée(les langues, les maths...), cela peut concerner aussi des savoirs
techniques qui sont évalués dans les entreprises... et mêmes des savoirs plus
transversaux. "
" Définir des grilles de compétences, mettre en place de nouvelles
modalités daccréditation pour ces compétences... , permettre une vérification
simple, en temps continu(sur Internet par exemple), des progrès accomplis
individuellement... Une démocratisation réelle de lenseignement passe
par la garantie donnée à tout jeune européen de disposer dun socle de
compétences de base reconnues à la fin de la scolarité obligatoire. "
Conséquences :
Les compétences transversales
Les savoirs disciplinaires sont présentés comme peu motivants,
difficiles daccès et sans utilité.
Les savoirs transdisciplinaires sont présentés comme plus proches de la vie
réelle, plus motivants et plus faciles daccès.
En considérant que toute étude déborde sur dautres domaines disciplinaires,
la recherche "doutils " transversaux "permettant "
de passer dune discipline à lautre, a tendance à se généraliser
de manière injustifiée. Or, il suffit de considérer que létude de ces
outils doit se faire, de manière spécifique, pour que la transversalité devienne
une discipline à part.
Au nom de lautonomie, est visée lacquisition de "compétences
transversales " qui seraient plus motivantes que les apprentissages
formels considérés comme pesants et ennuyeux. Elles seraient des "compétences
utiles ", puisque liées à des situations données.
Pour forger ces compétences, il est préconisé de :
Une telle approche peut paraître attrayante. On peut penser
que la concentration des efforts sur lacquisition de telles compétences
est plus facile en dehors des disciplines et des savoirs cumulatifs.
Or, des compétences liées à une situation spécifique ne peuvent être transversales. Par
ailleurs, on ne peut confirmer que les compétences transversales sont faciles
daccès. Des études ont montré que "les procédures mentales acquises
à propos de contenus particuliers se transmettent très mal à dautres
contenus. Contrairement aux attentes, elles ne facilitent pas les acquisitions. "
Il sagit dans les faits dimposer larticulation de la formation
scolaire autour du tout professionnel, remettant en cause cette formation.
En effet, le mode de transmission par la pratique conduit à des savoirs portés
de manière spécifique et non transférables à dautres situations. La
formation scolaire ne peut donc se suffire à ce mode là, les savoirs formels
sont indispensables.
Ce qui est demandé aujourdhui à lécole, nest pas la combinaison
nécessaire entre des modes complémentaires dacquisition des savoirs.
Ce qui est demandé, cest la prise en charge de lacquisition de
lexpérience professionnelle qui se faisait auparavant au sein de lentreprise.
Cest une atteinte à la fonction déducation de lécole en
faveur dune dimension marchande. La réalité du marché de travail permet
aujourdhui aux employeurs de refuser de payer le prix de cet apprentissage.
Ils cherchent à le faire assumer par les jeunes sous forme de stages, de contrats
précaires et dapprentissage à lécole.
Donner du sens aux activités scolaires
Pour donner du sens à lapprentissage, le discours officiel
engage à être au plus prêt des demandes des élèves. Or, les demandes des élèves
sont le reflet des vécus et des pratiques sociales. Elles sont donc forcément
inégalitaires. Elles relèvent aussi de besoins immédiats ne prenant pas en
compte les nécessités scolaires.
Une telle pratique conduirait à une négociation en fonction des publics, des
classes dun même établissement, dun groupe délèves des contenus
denseignement, voire des programmes.
Labsence dune référence nationale à des programmes conduirait
à la remise en cause dune école pour tous. Les apprentissages informels
ne se feraient plus au sein de lécole, mais au sein des familles aptes
à le faire. Le prétexte est que tous les élèves ne sont pas intéressés par
des apprentissages abstraits ou en sont incapables.
Lexistence de choix nationaux, concernant les savoirs à traiter pour
tous, est ainsi remise en cause : " A chacun son école
et aux pauvres lécole des pauvres. "
Lautonomie des élèves
Lautonomie nest pas considérée comme le résultat
dun enseignement et de lorganisation de ses conditions, mais dune
simple volonté.
Le renforcement de pédagogies, comme le recours à Internet, est préconisé
comme moyen pour former cette autonomie. Au nom de lémancipation de
lélève, on encourage "la déscolarisation systématique de lécole ".
La tendance est alors à la réduction des programmes scolaires à un minimum
de savoirs de survie, à la dilution des savoirs au profit de pratiques de
sensibilisation, dinformation, de vulgarisation où létude naura
plus place.
Les conséquences nen seront que trop graves : " La diminution
de létude aidée, instrumentée par le système scolaire est particulièrement
défavorable aux défavorisés ".
La pédagogie du projet
Les défenseurs de la pédagogie du projet le présentent comme
motivant, ludique, sopposant à la "sécheresse " des apprentissages
classiques.
Dans la pratique, sa réelle pertinence nest pas exigée. Il nest
pas sérieux. Il est réservé aux élèves en difficulté. Il est perçu comme un
moment où lon se soustrait à létude. Labsence de rigueur
tant au niveau des objectifs du projet, quau niveau de son accomplissement,
annule la dynamique densemble dont il pourrait être porteur.
Par ailleurs, le financement des projets éducatifs par les collectivités locales
ou régionales, leur donne un pouvoir de regard sur les contenus de ces projets.
La tendance va être de privilégier les aspects les plus visibles au détriment
de ce qui est fondamental.
Létude doit rester le point central de toutes les activités
Donner du sens aux activités scolaires ne peut se faire en
dehors de létude elle-même. Limplication des élèves, la diversité
des approches pédagogiques sont importantes pour y parvenir. Mais elles ne
peuvent suffire à elles seules.
Les efforts doivent porter sur létude et la diversité des aides à létude
dans lécole. Tout atteinte à lespace de létude au profit
de démarches éclatées, ne peuvent que compromettre le sens de lapprentissage
à lécole et la pertinence des fonctions scolaires.
Cest par la lente appropriation des contenus des savoirs et des techniques
permettant leur maîtrise, que lacquisition du sens se fera. Saffronter
à la difficulté de ce processus fait partie de lapprentissage et de
sa réussite.
Quels choix d'école ? |
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Quel projet ? |
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Une école et une formation publique |
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un projet libéral ? |
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Quelle finalité ? |
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Assurer léducation de tous et participer à une socialisation à coté dautres liées aux différents vécus |
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plier la formation aux exigences marchandes et prétendre avoir le monopole de la socialisation à coups de cours de morale " citoyenne " ? |
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Quel enjeu ? |
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Poursuivre la massification et aller vers la démocratisation pour une école de qualité pour tous |
ou |
renforcer concurrence et différences entre écoles à plusieurs vitesses ? |
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Quels contenus ? |
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Des savoirs et techniques de hautes exigences comme culture commune |
ou |
un minimum utilitaire à savoirs dilués et une remise en cause de leur étude au profit de lacquisition de capacités et de compétences ? |
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Quels moyens ? |
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Qualitatifs et quantitatifs, exigeant réflexion et débat autour des contenus et méthodes, de linvestissement en moyens humains et matériels sur la base dune discrimination positive, |
ou |
une seule " bonne " pédagogie utilitariste ? |
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Quelles approches pédagogiques ? |
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Une complémentarité entre toutes les formes sans opposition : inductives, déductives, actives, disciplinaires, transversales, différenciées, collectives, de projet rigoureux... |
ou |
le règne dune pratique unique par projet pluridisciplinaire ? |